Avec Fabrice Desjours.
Planter une forêt pour se nourrir. Créer un écosystème vivant, résilient, nourricier. C’est le pari — et la passion — de Fabrice Desjours, pionnier des jardins forêts comestibles en France et fondateur de La Forêt Gourmande en Bourgogne. Dans cet épisode du podcast Pépite, il partage son expérience de terrain et sa vision d’un modèle agricole ancré dans le respect du vivant.
De l’agroforesterie au jardin forêt : le tout comestible
L’agroforesterie est définie par l’INRAE comme une « association d’arbres et de cultures sur une même parcelle, avec ou sans animaux ». Cette pratique présente de nombreux bénéfices : amélioration de la fertilité des sols, renforcement de la biodiversité, lutte contre l’érosion, régulation thermique. On la retrouve dans les grandes cultures (blé, maïs…), les vergers maraîchers ou les élevages plein air (poules, cochons, etc.).
Le jardin forêt va un peu plus loin dans la démarche. Inspiré des forêts nourricières traditionnelles, comme celles observées dans les régions tropicales, ce système agro-sylvicole est pensé comme un tout vivant, autonome et comestible. En effet, le jardin-forêt intègre principalement des plantes comestibles à vocation nourricière ou médicinale, bien que ça ressemble à une forêt sauvage. D’ailleurs, jardin-forêt ou forêt-jardin, forêt comestible, forêt fruitière, forêt nourricière, potager-forêt, tous ces synonymes illustrent que le concept est inspiré de la forêt.
Le jardin forêt, une agriculture en 3D
Le jardin forêt comestible repose sur l’agencement de plusieurs strates végétales. Une organisation théorisée par Robert Hart, horticulteur anglais, pionnier des jardins-forêt en milieu tempéré dans les années 60, dans son ouvrage Forest Gardening :
- La canopée alimentaire (arbres de plus de 10 m)
- Les petits arbres nourriciers (4 à 9 m)
- Les arbustes fruitiers
- Les plantes herbacées terrestres et aquatiques
- Les racines et tubercules
- Les plantes couvre-sol, rampantes, champignons
- Les lianes et grimpantes comestibles

À La Forêt Gourmande, sur deux hectares, Fabrice Desjours cultive plus de 1000 espèces végétales alimentaires. « Une diversité qui permet de nourrir une dizaine de personnes sans trop de travail, nous n’avons pas à travailler la terre, à replanter tous les ans » précise-t-il. « C’est un système de résilience alimentaire basé sur la diversité et la coopération, pas sur l’exploitation », résume-Fabrice.
Cuisiner avec les plantes du jardin forêt
Réintroduire des plantes oubliées dans nos assiettes, voilà un autre enjeu de la forêt comestible. Feuilles riches en protéines, tubercules de vivaces, lianes comestibles, fruits rustiques, aromatiques sauvages… La diversité végétale de nos régions est immense, mais sous-exploitée.
Selon Fabrice Desjours, notre alimentation occidentale repose sur 30 à 60 espèces végétales, alors que plus de 7000 espèces comestibles sont cultivables en climat tempéré. Pour redonner une place à cette abondance végétale, il faut aussi réapprendre à cuisiner autrement.
Le jardin forêt comestible n’offre pas de légumes calibrés ou de tomates standardisées. Il propose une autre relation : directe, vivante, créative, entre ce qui pousse et ce que l’on mange. Cela suppose de développer une nouvelle culture culinaire, fondée sur la transformation des plantes vivaces, l’expérimentation et l’échange.
Repenser l’alimentation
Derrière le jardin forêt, c’est tout notre rapport à l’alimentation qui est interrogé. Sortir de la logique industrielle, de l’abondance artificielle, des produits ultra-transformés, du gaspillage. Revenir à une alimentation locale, végétale, diversifiée, alignée avec les cycles naturels.
Dans un contexte de crise écologique et alimentaire, cette approche peut sembler anecdotique. Pourtant, elle propose une réponse concrète aux défis de demain : climat, biodiversité, santé, autonomie alimentaire. Une vraie désobéissance fertile.

Le jardin forêt aussi en ville
Ce que défend Fabrice Desjours, c’est une vision low-tech, accessible, et réplicable du jardin forêt. Pas besoin de machines, de chimie, ni de dépendance aux énergies fossiles. Ce modèle peut être implanté partout : en zone rurale, bien sûr, mais aussi en périphérie urbaine, ou même au pied des immeubles.
De plus en plus de jardins forêts citoyens voient le jour, portés par des collectifs, des communes, des écoles. Ils deviennent des espaces nourriciers, éducatifs, esthétiques, mais aussi des lieux de lien social et de reconnexion au vivant.
« Il devrait y avoir un jardin forêt dans chaque ville, comme il y a un terrain de foot », lance Fabrice. Un vrai programme politique.